massages sonores

“Pourrais tu fermer les yeux, s’il te plait?”

“Може ли да затвориш очите? …” [1] et tout ce que t’as connu disparait de l’autre côté, derrière les paupières d’un corps qui n’existe plus.

Voilà comment commence un voyage, qui incarne le concrète: toute sensation est nette et claire, en rappelant des tableaux, en créant des souvenirs… la confiance est la seule condition. T’es seul, dans un espace, qui se définit par un son, un déclic (… avec les doigts?), suivi par un frottement (de…paille?). Peut être la présence de la matière fait encore plus réelle son absence…

Il y a presque un siècle, Luiggi Russolo influencé par le futurisme écrit le manifeste de “L’Arte dei Rumori” (1913). Il se trouve à la base d’un des courants les plus importants dans la musique contemporaine et l’introduira, à travers l’entrée principale de la musicologie, en traversant l’avant-garde.

Chaque objet et chaque mouvement qui génèrent un son seront reconnus en tant que instruments musicaux. Lors du siècle qui suit, philosophes, musicologues, peintres et musiciens contribueront à ce phénomène[2]. Parmi eux John Cage reste une figure fondamentale de l’héritage musical mondial[3], et, à ses côtés, avant et après lui Igor Stravinski, Eduard Varese, Yoko Ono, Fluxus, Bauhaus et plusieurs autres s’intéressent à l’esthétique du bruit.

Dans l’art contemporain ce courant se réunit sous le terme “Musique bruitiste”. Elle met en question la forme de l’œuvre musicale, ainsi que sa présentation dans le monde matériel. C’est pourquoi le public de masse, qu’un concert suppose, n’est pas obligatoire, il s’autoexclue même. Et voici comment un “concert bruant” aujourd’hui devient un massage…

Dans les ateliers de Thierry Madiot et Pascal Battus, disciples de la poésie du bruit, sont à l’honneur tous les objets de la vie quotidienne, qui, entre leur doigts habiles, se transforment en une source de musique. Bouchons de bouteilles en plastique coquillages d’escargots, plantes séchées, surfaces d’aluminium, bâtons en plastique – la musique se définit entre les vibrations de leur mouvements et celles de notre corps.

Dès la création de la musique expérimentale toutes les limites dans cet art disparaissent pour nous montrer que la mélodie et l’harmonie ne sont pas une condition nécessaire et la musique peut se cacher dans le froissement d’une feuille de papier, le rythme mécanique d’un train qui passe, les voix en vrac des gens au marché. Voici pourquoi Thierry et Pascal interprètent leur concerts intimes à l’aide d’un riche choix d’objets qui nous sont familiers du ménage, de la nature, ou crées par les artistes eux-mêmes. ”Micro-contact” est, par exemple, le nom de microphones, que Pascal Battus attache à des objets divers, d’un stylo à planche de bois, pour capturer leur mélodies et les transmettre à l’auditeur. L’origine du son reste pourtant inconnu pour celui qui l’écoute et donne à ce phénomène la définition “acousmatique”[4]. La matière définit et, en même temps, rend l’événement complètement métaphysique – pas de partitions, pas de matériel d’enregistrement, images ou instruments musicaux non plus…ou de moins pas dans leur forme traditionnelle.

Dans un certain sens leurs performances semblent la matérialisation de la dématérialisation. Si la dernière phrase vous semble une suite absurde de notions, vous avez raison. L’absurde comme l’a prouvé l’art contemporain peut être tout, mais non pas impossible. Et dans la musique contemporaine il est en complète symbiose avec les concepts qui la désignent.

Un essai/expérience est à la base d’une initiative commencée en 2001 lors d’un atelier, où Thierry Madiot et Pascal Battus canalisent leur travail commun sous le nom “massages sonores”. Malgré le fait que cette notion est associée dès l’antiquité à la  thérapie[5] et que l’effet positif de la musique classique est aussi objet d’analyses et études dans le domaine de ladite sonologie ou la thérapie par le son, ce n’est pas un objet d’intérêt pour les deux artistes. Aucune de ces applications n’exploite pas le son dans sa forme d’esthétique pure de la manière dont ceci se produit dans le travail de Battus et de Madiot. Leur œuvre se réalise dans le contexte le plus intime – le nombre minimal (et optimal) de participants est deux: le Musicien et l’Auditeur et le groupe peut s’élargir avec un seul deuxième Auditeur. Oui, c’est vrai, il s’agit d’un concert, mais de chambre, individuel même. L’auditeur est confortablement installé dans son siège. Rien de révolutionnaire, jusqu’à ici. Ceci dit, devant lui, il n’y a pas de scène. Il n’y a rien à voir et l’acoustique se définit tout d’abord de la physiologie du corps. La musique qui sera interprétée se cache dans les vibrations engendrées immédiatement autour des oreilles de l’auditeur, et, pourquoi pas aussi dans le corps même. Si la vision est seulement un élément facultatif dans un concert l’ouïe, de son côté, est fondamentale. Mais quand Thierry et Pascal demandent au “public” de boucher ses oreilles eux n’empêchent pas la perception du son. Au contraire, ils donnent la possibilité à votre chaire, os, peau de se transformer à leur tour, dans un organe de l’ouïe. Les massages se réalisent sous des formes différentes et les deux types de base sont: 1) aérien, lors de quel le contact physique entre l’auditeur et le musicien ou ses instruments est exclu, et 2) “solidien”[6]– dans lequel le contact est possible. A part celles-ci les musiciens étudient aussi d’autres situations comme, par exemple, l’environnement aquatique ou la traduction de vibrations à travers les matières comme le bois, où la transmission du son à travers l’air est exclue.

Thierry utilise le mot « catalyseur » pour définir sa position en face du public. Comme chefs d’un orchestre invisible les deux musiciens canalisent émotions, souvenirs, images, qui dorment dans notre (sub) conscience. On dirait que ce rôle demande une certaine neutralité et distance de leur part, l’impression pour l’auditeur non-voyant est autre, pour autant. L’intensité, souvent agressive, de la musique des bruits pénètre dans la boîte crânienne et l’effet souvent n’est plus délicat de celui d’un concert de rock écouté avec un casque stéréo.

Le désir instinctif de l’homme de quitter la réalité est la raison pour laquelle les massages sont populaires parmi toutes les catégories de publique. Souvent, après la prestation les personnes comparent l’effet au relax des muscles qui apparaît lors du massage thérapeutique. Selon les psychologues et les médecins la réalité est une quantité subjective déterminée par notre conscience. De la même façon que les doigts de quelque guérisseur thaïlandais expérimenté frictionnent, souvent de manière douloureuse, les muscles du patient, les instruments de Pascal et Thierry massent les nerfs de notre cerveau. L’expérience est perçue promptement par les plus jeunes. Depuis des années les ateliers aident les enfants de se familiariser avec le monde de la musique et des sons.

De manière similaire à d’autres artistes contemporaines Thierry et Pascal travaillent avec l’environnement et la nature. Participants et auteurs d’installations et de concerts de musique improvisée les deux jouent avec l’espace dans des performances collectives dans la nature ou dans le contexte de la ville. De formation Thierry est tromboniste, Pascal – percussionniste et guitariste (aujourd’hui il travaille avec sa guitare créée par lui-même, la “guitare environnée”) explorent ensemble, individuellement et dans de formations différentes sur les scènes européennes et mondiales de la musique expérimentale. Musiciens, leur activité se définit par toutes les sphères de l’expression artistique. Thierry Madiot crée des installations sonores, dans lesquelles il analyse les objets et leur forme et déformation. Pascal Battus participe à des concerts lors desquels à travers son invention “graphones” il capte les vibrations et attribue une image au son. Pour ce qui concerne les massages ils sont invités par des organismes avec une activité très éclectique : du festival australien œuvres sonores “Liquid Architecture” à la Bibliothèque Publique d’Information Georges  Pompidou.

Monsieur Battus a ainsi participé à un projet avec des nestinars[7] bulgares. Même si, il n’a pas abouti, faute de manque de fonds, les habitants du village Iasna Poliana ont pu voyager aussi, les yeux fermés et la conscience ouverte.

L’expérience pour certains arrive très loin et se voit définie en tant que “découverte” et “illumination”. Quant aux créateurs eux-mêmes ils ignorent se qu’ils provoqueront. Comme l’a dit Cage la musique expérimentale est celle dont le résultat final est imprévisible. Il faut du courage pour nous confier dans les mains des “masseurs”. Parce que ils nous plongent là où personne ne sait qu’est-ce que l’attend … dans l’inconnu de soi-même.


[1] “Може ли да затвориш очите? …”-phrase en bulgare, aprise lors de la préparation d’une performance de Pascal Battus dans le village Iasna Poliana de Bulgarie

[2] Il n’est peut être pas un hasard que durant ces années les arts primitifs sont réhabilités et suscitent l’intérêt des artistes réunis autour d’André Breton et  Jean Dubuffet. Objets divers de l’environnement sont intégrés de façon naturelle dans les pratiques musicales de civilisations anciennes et dans les rituels tribales.

[3] En 1948 John Cage compose et interprète une de ses œuvres universellement connues – 4’33’’, lors de laquelle le pianiste laisse en silence son piano durant 4’33’’. Inspiré par le bruit de son cœur son idée est de prouver que le silence n’existe pas.

[4]  Définition utilisée pour le méthode inventé par Pitagor- l’étudiant ne voit pas son maitre durant la lesson. Cette notion est aux bases de la musique concrète, appellée aussi acusmatique, théoritisée durant les années ’40 du XX siécle par Pierre Schaeffer.

[5] Les massages avec des bols tibétains ou didgeridoo sont diffusés et connus pour leur qualités thérapeutiques/curatives fondées sur les points de concentration d’énergie connues comme chakras.

[6] Un bruit solidien est celui qui se développe ou se propage dans les structures du bâtiment.

[7] Gens qui pratiquent une danse traditionnellement exécutée sur des cendres ardentes.

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