Un fait divers

Héliotrope Films


“Je ne peux pas vivre sans toi” est un film au succès public et critique indubitable tant a Taiwan qu’ailleurs : 4 prix au Taipei Golden Horses, Grand Prix du Taipei International Film Festival, 2 prix au Festival International du Cinéma Asiatique à Vesoul… Pourtant ce n’est pas le genre de film à attirer les masses : pas de couleur dans les images, pas d’armes ni passions dans l’histoire… Au contraire un petit budget, un encadrement sobre de la vie quotidienne d’une famille hakka dans un contexte gris (littéralement et métaphoriquement) loin du glamour et aux marges de la société sont ses traits de distinction du film.

Quel est alors le sort qui a touché toutes ces personnes au point d’inciter le président de la république à se prononcer sur son propos (la lourdeur des procédures administratives et la vie précaire d’une partie de la population) et à appeler les fonctionnaires à voir un film de fiction? Qu’est ce qui a fait de ce film un phénomène social? Ces thématiques embarrassantes ne sont pas étrangères au nouveau cinéma taïwanais, cependant la façon dont Leon Dai traite la réalité des classes défavorisées a trouvé un écho inattendu.

Les langues officielles de l’île de Taïwan sont aujourd’hui au nombre de trois: le mandarin pour l’administration, le minnan ou taïwanais dans la vie sociale et le hakka caractéristique du groupe ethnique homonyme, minorité d’origine chinoise, subissant souvent une situation défavorisée. Loin d’être discriminantes ces langues désignent d’une certaine manière des profiles dans la société taïwanaise.

Ainsi les personnages du film, un homme survivant à des boulots mal payés et très risqués (plongée sans le matériel adapté) et sa fille de sept ans, sont hakka. Mais ce n’est pas le hakka qu’ils parlent entre eux car le père préfère que sa fille s’habitue au mandarin, lui-même s’exprimant par contre en minnan (taïwanais).

L’élément déclencheur du film se présente en une intervention de l’état qui risque d’enlever la petite Mei de son papa. Identités délayées donc, marquées par les plaies cachées de la société taïwanaise, tout d’abord, mais pas uniquement.

C’est une histoire humaine, autant « singulière qu’universelle » : ce sont les mots de son auteur Leon Dai, mais aussi ce que le spectateur ressent face à l’amour paternel et filial qui est le seul sens d’une existence modeste mais lumineuse dans la sincérité de ceux qui la portent. Leon Dai réussit à faire surgir des problématiques essentielles à travers un fait divers réel qui s’est produit au début des années 2000 lorsqu’un homme menaça de se jeter d’un pont avec sa fillette sur le dos. Quelque année plus tard Leon Dai lit l’article de son ami relatant les faits. C’est cette histoire, sans trucage ni accessoires, que le réalisateur ambitionne de mettre en scène. La simplicité est le maître mot de son approche. Sans évoquer la jeunesse colorée de son film précédent « Twenty Something Taipei », « No puedo vivir sin ti » rappelle plutôt la ville et la vie déshabillées et brutes de Vittorio De Sica ou de Roberto Rosselini. C’est l’immensité qui règne sur ce qui est fragile et délicat : le paysage sur les figures humaines, l’état sur la vie de l’individu, l’administration sur la civilité.

Le film est réalisé avec des acteurs non-professionnels, le personnage principal étant joué par le réalisateur de cinéma documentaire Chen Wen-Pin, qui assiste Leon Dai aussi dans l’écriture du scénario et la production. Malgré la crudité visée par Monsieur Leon, une sérénité se répand pour nous rendre témoins de valeurs humaines et cinématographiques que nous ne sommes plus habitués a rencontrer dans le cinéma et la vie de tous les jours dans la rue, les bureaux, la maison.

Leon Dai avec beaucoup de finesse et d’humilité…

publié sur Asiexpo, le club des passionnés de l’Asie

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